
Dépression
La dépression se caractérise essentiellement par une perte du sens de la vie qui va de pair avec un manque de plaisir à vivre (elle entraîne diverses manifestations secondaires telles qu’une immense fatigue, manque d’appétit et d’appétence, troubles fonctionnels variés, etc.). Elle peut aller jusqu’à la mélancolie et au suicide. La psychanalyse l’aborde de deux manières : elle permet d’en faire une évaluation diagnostique qui repose sur l’ensemble du fonctionnement psychique de la personne déprimée, non les signes les plus conscients ou manifestes qu’elle montre et exprime et qui sont sujets à variations. Comme telle celle-ci se révèle profondément fiable, en particulier dans la différenciation indispensable entre idées suicidaires et risques de passage à l’acte suicidaire, différenciation fondamentale quant au choix thérapeutique à court, moyen et long terme. Elle permet par exemple de discriminer clairement ce qui est tristesse, c’est-à-dire ce qui constitue un affect normal qui est inhérent à la capacité de sentir de tout être humain doté d’un psychisme bien constitué, affect qu’il peut éprouver à différents instants et évènements de sa vie, de ce qui est vécu dépressif, c’est-à-dire posant réellement problème. Elle peut préciser l’ampleur et la profondeur de ce vécu dépressif et le différencier aussi d’une dépression vraiment établie, voire chronique.
Dépression et cure psychanalytique
La psychanalyse offre également, grâce au travail psychanalytique dans ses différents aménagements, une possibilité de psychothérapie approfondie par une quête de l’origine cachée, partiellement inconsciente, de la manifestation dépressive. Elle le fait prioritairement par la cure sur le divan, quand elle convient le mieux à la structure psychique du patient, qui offre des possibilités de changement particulièrement importantes par la fréquence de ses séances et la disposition divan-fauteuil, mais aussi par un travail en face-à-face à des fréquences variables, en fonction de cette structure psychique même, mais nous y reviendrons.
Le travail psychanalytique est une relation particulière entre deux personnes : le psychanalyste et le patient, aménagée selon une organisation très structurée. Ces deux personnes ont en commun, comme tous les êtres humains, d’avoir un psychisme et si l’analyste analyse celui du patient, il le fait par l’intermédiaire de la reconnaissance en lui des propres effets de son psychisme, de leur compréhension théorique et clinique fondée sur son ressenti qu’il a pris l’habitude d’analyser par l’expérience, absolument indispensable et incontournable, de sa psychanalyse personnelle qui se doit d’être longue et approfondie. Celle-ci lui évite aussi de prêter à tort au patient ce qui, en fait, le concerne. Bien entendu elle va de pair avec une formation particulièrement longue et exigeante.
Dépression et évolution des conceptions psychanalytiques
Si classiquement la psychanalyse s’est donnée comme une théorie du fonctionnement psychique de l’être humain qui pouvait être appliquée à des cures psychanalytiques dont la visée n’était pas la guérison au sens phénoménologique du terme, mais l’analyse des «complexes» sous-jacents aux symptômes, voire une quête de connaissance de soi : «La guérison vient de surcroît», a écrit Freud, l’image qu’elle laisse parmi les non-psychanalystes es liée à une compréhension souvent caricaturée de la première partie de l’œuvre de Freud. Il est vrai que bien des psychanalystes y contribuent, mais grossièrement parlant, cette conception ne prend en considération, au mieux, que ce qui précède 1920 et fait l’impasse plus ou moins complète des 19-20 dernières années de son œuvre, donc l’essentiel de ce qui peut permettre d’aborder la dépression. Cette importante partie pourtant la réoriente assez différemment, sans abandonner les découvertes antérieures essentielles, mais en les enrichissant, et amorce la compréhension de problématiques autres que les névroses de type hystérique, phobique et obsessionnel comprises sous l’angle prépondérant de l’analyse du complexe d’Œdipe, même si les névroses d’une certaine gravité peuvent donner lieu à des dépressions.
La psychanalyse se limite souvent, dans l’esprit des personnes qui ne l’ont jamais lue dans le texte ou ne connaissent que quelques textes de Freud, voire les résumés approximatifs qui en ont été faits, à la découverte de la sexualité infantile et de l’inconscient, généralement à travers le rêve. Certes, ces deux aspects demeurent fondamentaux, mais toute l’évolution freudienne liée aux limites rencontrées par lui au cours de sa carrière dans son travail clinique, voire aux échecs, est généralement occultée, tout l’effort renouvelé entrepris par lui pour accroître la compréhension de ce qui fait obstacle au changement, ignoré. Par exemple c’est le cas d’un texte de 1915 (donc encore antérieur) qui s’intitule «Deuil et mélancolie» dont l’écriture est la conséquence de la préoccupation qui anime Freud de l’effet psychothérapeutique au sens vrai de la cure psychanalytique, de cette quête de changement profond et durable du fonctionnement psychique par la cure psychanalytique. Freud, confronté à l’échec à permettre aux patients d’abandonner leur souffrance dépressive aiguë pouvant donc aller jusqu’à la mélancolie et au suicide, par l’analyse de la sexualité infantile et des conflits psychiques inconscients liés à celle-ci grâce à leur répétition dans le transfert, commence à élargir ses concepts et en créer de nouveaux qui vont aboutir en 1920 et 1923 à des remaniements majeurs de la structure, de la dynamique et de l’économie du psychisme. Il découvre que ces patients ne parviennent pas à faire le deuil d’attachements à des personnes ou des choses du passé, voire du passé récent, dont la perte semble être la source de ce violent désespoir. Il se questionne sur ce qui fait que la personne demeure pareillement fixée à sa souffrance liée à ces pertes (qui parfois peuvent même être peu évidentes pour la personne témoin), au lieu d’y renoncer progressivement pour se tourner vers les autres possibilités de plaisir, d’intérêt et de liens que lui offre la vie. Il découvre ainsi quelque chose de fondamental : l’importance de ces investissements pour ce que je qualifierai de sentiment de sa propre valeur. Autrement dit ce qui a été perdu (par exemple personne(s), position professionnelle, considération, respect des collègues, caractéristiques de son corps, potentialités) sont ressentis comme des étalons de ce sentiment de valeur, leur perte signifie donc ne plus avoir de valeur à ses propres yeux, d’où le côté insupportable qui fait que l’on ne peut y renoncer à aucun prix pour tenter de se tourner vers autre chose. Dans la mélancolie le patient s’accuse d’être responsable de cette perte. L’accrochage à cet objet au sens large est cette tentative désespérée même de conserver ce sentiment de valeur, cette nécessité d’avoir une valeur pour soi-même pouvant, paradoxalement, devenir pour le mélancolique plus importante que la vie elle-même. D’ailleurs déjà en 1914 Freud avait reconnu l’investissement positif de soi comme nécessaire à la qualité de vie psychique dans un texte sur le narcissisme.
A partir de 1923, en remaniant sa conception du psychisme en trois instances, le moi, le ça et le surmoi, il introduit dans la constitution même de celui-ci l’influence du monde extérieur, à commencer par les parents. Le surmoi, instance de la conscience morale, se crée par identification. Si celui-ci est d’abord héritier du complexe d’Œdipe, donc conséquence d’une intériorisation des interdits (qui se rapportent à l’inceste, puis s’étendent progressivement) et des valeurs transmises par les parents, il devient également héritier d’un environnement plus large avec les modèles identificatoires divers allant dans ce sens. En même temps il joue aussi le rôle d’une instance protectrice présente au sein de la psyché par l’intériorisation des aspects protecteurs des parents et autres personnes significatives liés aux limites qu’elles ont imposées par amour, quand les relations se sont suffisamment bien passées. Il y a donc désormais une place clairement donnée à l’importance de la relation et de l’environnement sur la constitution du psychisme même qui va se renforcer encore vers la fin de son œuvre.
Conceptions psychanalytiques contemporaines
A partir de cette étape, une voie psychanalytique nouvelle est tracée pour élargir la compréhension de divers fonctionnements psychiques impliquant diverses problématiques. Un psychanalyste venu de la pédiatrie, D. Winnicott, va construire toute une théorisation de l’importance de la relation inter-psychique mère-bébé, puis petit enfant, dans le développement d’un être humain pensant, créant et ressentant : l’affection de la mère, son empathie l’amènent à interpréter en termes de sentiments et de sensations ce qu’elle vit de son enfant et à s’efforcer de donner une réponse qui lui procure bien-être et sécurité, à le contenir. Un autre psychanalyste anglo-saxon, W. Bion, a parlé de capacité de rêverie de la mère. Winnicott a envisagé, à travers son travail clinique, les échecs possibles de cette relation précoce avec leurs conséquences plus ou moins graves lorsque cela se passe mal, que la mère n’est pas suffisamment bonne, n’a pas joué en quelque sorte son rôle d’«éveilleuse» au plaisir de vivre. Le terme «suffisamment» est essentiel, les imperfections humaines de la mère contribuant à la tendance de l’enfant tout petit à chercher à l’extérieur de cette relation, en développant ses potentialités, ce qui vient à lui manquer parce qu’il l’a déjà assez éprouvé pour désirer le retrouver : satisfaction du besoin engendrant le plaisir. C’est le début de déplacements créatifs (objet transitionnel qui n’est ni soi ni la mère et pourtant un peu des deux, puis aire transitionnelle) inhérents à l’être humain. Plus près de nous le psychanalyste et professeur R. Roussillon décrit dans un livre récent «une fonction symbolisante de l’objet» qui explicite comment il peut comprendre la contribution essentielle de la mère de la petite enfance à la construction d’un psychisme capable d’émotions et de mises en représentation de son vécu. Le psychanalyste se doit désormais de découvrir les manquements, empiètements, blessures qui ont biaisé la construction du moi de son patient, de se les représenter et de les lui interpréter-expliciter avec la souplesse technique nécessaire que chacun réclame, de mettre au jour ce qui a entravé certains aspects de l’organisation du psychisme de celui-ci quand cette mère est supposée ne pas avoir été suffisamment bonne.
Construction du psychisme et dépressivité
Si ces psychanalystes développent énormément le rôle de l’objet maternel, d’autres insistent sur l’importance du père comme objet alternatif vers lequel l’enfant peut se tourner, déjà très tôt, mais aussi comme celui qui va lui reprendre la mère pour la remettre dans sa position de femme liée à un homme. Toute cette complexité alimente et permet la construction du narcissisme sain du sujet en lien avec celle d’une différence des sexes et des générations. Cette différenciation prendra sa pleine signification à l’adolescence où les transformations du corps ébranleront d’autant plus le narcissisme du sujet qu’il a déjà été mal organisé dans l’enfance. C’est une période de remaniements essentiels et de crises qui amèneront l’installation d’une structure de personnalité adulte plus ou moins bien construite. Elle a été élaborée par un certain nombre de psychanalystes qui ont travaillé à la compréhension de la spécificité de l’adolescence, tels que M. et E. Laufer en Angleterre, par exemple.
La notion spécifique de narcissisme sera développée par différents analystes, car elle est essentielle dans ses aspects positifs qui n’ont rien à faire avec le mythe de ne s’intéresser qu’à soi-même et de tout ramener à soi, qui serait pour le psychanalyste le signe d’un échec partiel de sa constitution. Une conception particulièrement éclairante du narcissisme pour la compréhension de la dépression et de la dépressivité qui peut être le lit de cette dépression, en a été donnée par le psychanalyste contemporain André Green qui consacra un livre entier à sa construction en 1983. C’est lui qui a élaboré la conception d’un narcissisme primaire de vie comme structure de base permettant de s’investir soi-même en plaisir à vivre et d’investir et de créer des objets distincts qui alimentent la vie en sens, à partir d’un sentiment de lien solide vécu par le petit enfant dans ses contacts précoces avec sa mère ou son substitut. Il s’agit de construire une capacité à investir les objets au sens large qui nous entourent et s’en créer, être capable de donner valeur d’objet affectivement significatif à ce qui s’offre à nous. Par exemple cela peut être l’animal en peluche pour l’enfant, qui devient objet de plaisir par le bien-être qu’il procure, les jeux qu’il fera avec lui ; chez l’adulte cela peut varier à l’infini des liens à des personnes aux activités diverses, allant jusqu’aux plus complexes en passant par les plus simples : prendre plaisir à la fraîcheur de l’air matinal sur son visage implique quelque part cette construction d’un narcissisme primaire de vie. C’est aussi ces petits plaisirs qui demeurent souvent pour la personne âgée lorsqu’elle en a perdu tant d’autres par le processus de vieillissement et les appauvrissements qu’il amène. C’est cela que le déprimé a également perdu ; souvent il ne l’a fondamentalement jamais suffisamment établi en lui, ce que je qualifie de dépressivité. Le défaut de construction de ce narcissisme primaire tend à faire stagner une sorte de destructivité latente indistinctement tournée vers soi et l’autre mal différenciée qui est constituante de cette dépressivité et peut enfler et envahir le moi dans la dépression.
Cette théorie de l’organisation et de la construction du psychisme ne signifie en rien qu’il n’y ait pas reconnaissance d’un bagage génétique présent d’emblée, mais ce n’est pas de cet aspect que s’occupe la psychanalyse.
Dépression et travail psychanalytique
Le travail psychanalytique tend à mettre à jour les difficultés relationnelles précoces devenues inconscientes, certes remaniées en cours de vie, qui ont empêché cette construction et à permettre un changement de leurs effets actuels sur le psychisme qui contribuent à la dépression. Il vise un remaniement de cette potentialité dépressive négative qui a préparé le lit de l’éclatement de la dépression et tend ainsi à éviter la chronicisation avant que le patient ne s’y enlise. Il construit-reconstruit une histoire du sujet qui donne un sens à la dépression actuelle en ouvrant dans le même mouvement la voie vers ce qui peut être qualifié de guérison profonde, elle-même conséquence de la transformation du fonctionnement psychique qui s’effectue dans ce processus. Pour cette raison le travail psychanalytique bien mené est un véritable travail de prévention des rechutes, puisqu’il touche ce qui est à la base de la tendance dépressive. Il ne s’agit évidemment pas de rendre impossible quelques brefs moments de dépression, des moments de régression, dont le patient devient capable de sortir seul, signes de souplesse, et qui ont souvent valeur d’adaptation aux difficultés de l’existence et ne sont pas des rechutes vraies dans la dépression.
Incursion clinique
La psychanalyste «laïque» que je suis, peut-être justement parce qu’elle n’a qu’une identité de psychanalyste dans sa manière de travailler, tant aux yeux des personnes susceptibles de lui adresser des patients que de ceux-ci, se trouve confrontée de plus en plus à des personnes déprimées répétitivement ou chroniquement depuis des années. Ces personnes viennent souvent «en dernier ressort». En effet elles ont déjà eu recours à des aides diverses dans le passé, par exemple à une ou des psychothérapies à but de soutien, notamment, en tout cas qui ne reconnaissent pas le rôle de l’inconscient ou qui ont été trop brèves et trop superficielles si une certaine reconnaissance de celui-ci pouvait s’y manifester, parfois qui n’ont jamais même été organisées en psychothérapies structurées. Elles les ont le plus souvent aidées, mais transitoirement. Elles peuvent être en cure d’antidépresseurs, exceptionnellement depuis des années sans arrêt, sauf pour les brèves «fenêtres» liées au changement d’un antidépresseur pour un autre, ou ont déjà pris des antidépresseurs en cure une ou plusieurs fois dans leur vie, avec un gain énergétique certain, mais sans qu’un gain en plaisir à vivre ni une cessation de l’humeur dépressive n’en soit durablement résulté et parfois ne se soient même jamais produits. Dans ces situations, cette longue durée de traitement sans amélioration des pensées, des sentiments, des vécus dépressifs aggrave parfois considérablement le désespoir de la personne et peut renforcer une conviction que, tôt ou tard, il n’y aura plus que le suicide comme seule issue à la souffrance. Il est arrivé que la psychiatrie ait transformé le diagnostic de dépression en dépression résistante, mais rien d’autre n’a été proposé. Bien entendu, lorsqu’une cure médicamenteuse est en cours le psychanalyste la respecte pleinement, mais ce n’est pas son domaine, puisque ce qui l’intéresse, c’est le fonctionnement psychique sous-jacent et sa compréhension. D’ailleurs, dans les situations où le patient ne prend pas d’antidépresseurs au moment de sa venue et que son degré d’épuisement est tel qu’il n’a pas les moyens de faire un travail psychanalytique dans ces conditions, voire qu’il y a de sérieux risques suicidaires, les pensées suicidaires étant habituellement présentes, le psychanalyste peut demander la collaboration d’un psychiatre qui peut, lui, prescrire une nouvelle cure médicamenteuse jusqu’à ce que le travail de transformation du psychisme inhérent au travail psychanalytique la rende inutile. Le médicament est alors prescrit non comme ce qui va guérir, mais comme une contribution nécessaire, mais passagère à ce processus de changement, pour se procurer les forces de s’attaquer aux problèmes de fond en restant en vie et dans la vie, il peut être de ce fait parfois mieux accepté, avoir plus d’efficacité et être pris avec davantage de régularité.
Quand le psychanalyste commence à parler avec ces patients de leur vie et de l’histoire de leur souffrance dépressive, il découvre souvent que dans l’enfance, déjà, le patient a souffert de dépression, d’angoisses, d’une profonde solitude intérieure, voire aussi d’autres symptômes. L’adolescence a toujours été problématique et passablement douloureuse, bien au-delà de ce qui peut être «normalement» inhérent à cette période de grands remaniements, et marquée déjà le plus souvent, elle aussi, de cette souffrance dépressive parfois très intense. L’ouverture au sens qui caractérise la réponse du psychanalyste, un sens qui se lie parfois en les ranimant, à des émotions, donne dans un premier temps au vécu dépressif une autre perspective.
Quelques résistances personnelles et culturelles au travail psychanalytique
Toutefois il est évident que le travail psychanalytique n’offre aucune séduction dans une culture où ce qui est visé est le tout et tout de suite, la rentabilité apparente, souvent plus que réelle et surtout la rentabilité à court terme, qu’elle soit financière (ce qu’il n’est socialement pas possible de négliger, mais qui est souvent pour l’individu, trompeuse) ou autre, mais aussi la performance. Fréquemment, de plus, les personnalités ayant une grande fragilité dans leur image d’eux-mêmes, donc susceptibles de plonger dans la dépression, s’appuient ainsi beaucoup sur leurs performances professionnelles, sociales et une certaine image extérieure d’adaptation affective. Elles sont, de ce fait, d’autant moins ouvertes à un travail long et difficile et ne demandent pas mieux que de croire que tout va être résolu rapidement et définitivement en avalant des médicaments et discutant quelques semaines ou quelques mois, avec en particulier, quelqu’un, qui les rassure ou fait appel à leur volonté. Rien d’étonnant alors à ce que ce ne soit souvent qu’après des années de souffrance qu’elles consentent à suivre le conseil d’un ami ou d’un médecin pour se rendre chez le psychanalyste, s’il se trouve quelqu’un sur leur route pour le leur conseiller. De plus notre culture promeut davantage le «non ressentir» comme signe de force, l’homme impassible et insensible représente un idéal d’être équilibré et résistant, plutôt que la capacité de vivre une gamme riche et nuancée de sentiments. Cela va dans le même sens, contraire à la psychanalyse. L’équilibre psychique n’entre pas dans les buts, seule la maladie dans ses aspects les plus apparents interpelle et réclame des soins ; lorsqu’il s’agit de souffrance psychique, on ne cherche parfois qu’à la faire taire, à en faire disparaître les manifestations les plus bruyantes. Et soixante-quatre ans après la mort de Freud, force est de constater que l’inconscient est toujours aussi inacceptable… ce qui n’a rien de surprenant.
Pourtant quand les patients font ce travail, qu’ils commencent à découvrir ou redécouvrir différemment le plaisir à travailler, à être en relation avec autrui, que le plaisir à vivre se déploie, même avec des hauts et des bas, souvent ils regrettent de n’avoir pas commencé plus tôt, ils regrettent aussi toutes les années vécues dans cette méconnaissance et cet éloignement d’eux-mêmes. Au fur et à mesure qu’ils changent, le temps que cela prend leur paraît beaucoup moins long et moins important que ce qu’ils pouvaient en anticiper, ainsi que les efforts pour y parvenir, car ils en découvrent l’intérêt.
En conclusion
Si l’abord psychanalytique est actuellement le moins ouvertement pris en considération lorsque l’on se penche sur les problématiques dépressives, il me semble que c’est davantage parce que la psychanalyse n’évoque pas l’idée de processus de guérison en général et de guérison possible de cette souffrance psychique si répandue en particulier, qu’elle ne répond pas aux visées de suppression des symptômes dépressifs à court terme, qu’elle est considérée comme trop coûteuse en temps, en énergie et en argent plutôt qu’à cause d’un manque d’efficacité. L’expérience clinique montre au contraire que le processus de transformation du fonctionnement psychique qu’un travail psychanalytique approfondi permet, constitue une véritable cure de la dépression à travers cette relation particulière entre le psychanalyste et son patient. Elle se révèle être une cure essentielle pour un certain nombre de patients qui ont les aptitudes à se pencher sur leur fonctionnement psychique. Il est possible alors de les mobiliser à s’y intéresser, ceci d’autant plus lorsque la cure psychanalytique paraît être le dernier recours après une longue histoire de dépression qui enferme de plus en plus le patient dans sa souffrance et son désespoir, mais aussi d’emblée lorsque la dépression menace de s’installer, parfois malgré les apports médicamenteux.
La dépressivité existe à l’état latent chez un très grand nombre de personnes et fait le lit de la dépression ; la compréhension psychanalytique du fonctionnement psychique est un outil diagnostique précieux de la gravité et de la profondeur du vécu dépressif pour éviter des erreurs d’appréciation très dommageables pour ce qui est proposé au patient.
Votre commentaire