
L’image est un support du fantasme.
Pour introduire mon propos il est nécessaire de définir les enjeux de la clinique contemporaine, ceux du clinicien pour ensuite en dégager les implications dans la question du numérique. Le clinicien est confronté à des formes symptomatiques elles même prises dans la culture. Clinicien et patient s’inscrivent dans une culture contemporaine particulière qui est l’effet de l’ « homme » autant qu’il est assujetti par le contemporain. Ainsi le clinicien est soumis à un impossible, rendre compte des effets de cette contemporanéité tout en étant pris dedans sans se laisser complétement engloutir par cette dernière. Il s’agit pour lui de penser le contemporain sans lui opposer un savoir clinique immuable, pour laisser émerger un écart entre le symptôme et le contemporain et ainsi ouvrir un espace de réflexion sur l’influence possible ou non du contemporain sur les symptômes autant que les modifications que cette influence engage dans la clinique. D’une certaine façon le clinicien a à se situer de manière anachronique vis-à-vis du contemporain, en marge de son époque. Comme le note Agamben : « Celui qui appartient véritablement à son temps, qui appartient véritablement à son époque est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui, ni n’adhère à cette prétention et se définit dans ce sens comme inactuel. »
Comment penser la question du numérique et son incidence dans la clinique contemporaine. Qu’est-ce que le numérique ? Gérard Berry, professeur au collège de France relate que le mot « numérique » a supplanté le mot « informatique ». Il nous semble prégnante que la question de l’image à une place forte dans l’articulation du numérique au contemporain, et elle vaut d’être mise au travail comme implication du numérique dans la clinique contemporaine et comme éventuel symptôme de notre société. Qu’est-ce que l’image ? notre monde est-il fait d’images ? Le stade du miroir de J Lacan nous fait comprendre que l’image, celle de soi, celle du corps i(a), est l’image à laquelle le sujet n’a accès que par le reflet du miroir : une image de là où nous ne sommes pas, dit Lacan, qu’il écrit i(a)’. Cette formalisation montre bien que cette image est toujours autre, elle apparait comportant des points de manque, de trou, de béance. Points de manque qui indiquent la perte des objets a en tant qu’ils ne sont pas spécularisables, parce qu’indéfectiblement rattachés au corps ajoute Lacan dans le séminaire X. Points de manque (moins phi) sont recouverts par le fantasme qu’articule les objets a en se projettent, alors, sur la surface de l’image. L’image pour Lacan se situe toujours sur un axe a-a’, une relation duelle et imaginaire, en miroir. Alors nous pouvons dire que l’image est un support du fantasme. La question est de repérer comment ces images prisent dans les fantasmes s’articulent à la clinique contemporaine et rendraient compte d’une symptomatologie contemporaine, le numérique serait-il cause ou conséquence d’une symptomatologie donnée ? Il nous semble nécessaire pour élaborer autour de ces questions de tenter dans la mesure où le numérique et sa technologie ouvrent à de nouveaux possibles pour l’homme contemporain de repérer les fantasmes qu’ils pourraient véhiculer. Néanmoins comment penser ces fantasmes tout en étant soi-même en tant que clinicien pris dans cette contemporanéité, il va s’agir de tenter un certain déphasage avec le contemporain pour en élaborer quelque chose. C’est-à-dire peut-être se laisser surprendre par justement ce que la cuture du numérique permet en tant que « tout possible » et donc ce qu’elle peut induire comme fantasme, sans se laisser séduire par elle. Dans la mesure où, la technologie numérique est inventée par l’homme il y a une certaine intrication du fantasme au numérique, autant qu’il est nécessaire de résister à toutes tentatives de pathologisation de son usage et d’interroger la part de contemporain dans le symptôme.
Il y a un champ du désir de voir et cela va de soi, le sujet est guidé par sa pulsion scopique, entre autres. Mais est-ce que le discours de la science n’y injecte-t-il pas une croyance une promesse qu’on puisse tout voir ? la société technique contemporaine propose des machines à tout voir, caméra de surveillance, téléphone portable, scanner, GPS, IRM etc… Ainsi si tout est rendu visible, sommes-nous des voyeurs frénétiques ? amateur de séries TV, de jeux vidéo, est-ce que cela modifie le désir du sujet ? ainsi lorsque la clinique contemporaine repère cette pulsion scopique devenant une sorte d’œil absolu, l’interprétant la classifiant, cela produit une autre mise en abime, celle du dit « voyeur » vu et observé à son tour sous l’œil de la clinique contemporaine. Ce qui implique de mener un questionnement de la part du clinicien qui s’engage dans ce type classifications ou prend en charge des patients addictes aux séries, ou aux jeux vidéo. L’enjeu est de ne pas se laisser prendre par la séduction de la nouveauté sans tomber dans le poncif du type : l’époque est devenue nocive. Pour le clinicien il s’agit de penser ce qu’implique le tout visible dans champ pulsionnel : Le sujet de la technologie numérique est à la fois devant et derrière l’écran, l’œil de la caméra , sachant que tous écrans d’ordinateurs, de téléphones sont équipés d’un œil de caméra, d’une web cam, il est donc rendu possible de voir et d’être vu mais également de se voir, ainsi la technologie inventée par l’homme contemporain, l’est sur le modèle de la pulsion, dans une sorte d’aller/retour de la pulsion ratant sa cible et revenant au point d’origine : la zone érogène de laquelle la pulsion est issue : l’œil, et le regard comme objet a. Cela implique en tant que clinicien d’interroger ce nouveau rapport au corps que le numérique suppose. Vient alors se poser la question du contemporain comme instaurateur d’une civilisation du regard. Un monde de médias ou l’image règne en maitre. La question pour le clinicien est comment produire un discours sur l’image tout en étant captif de celle-ci, captif des médias. L’affaire Dutroux en est un exemple, pour un psychologue clinicien de se retrouver au cœur d’une affaire médiatisée peut enclencher un rapport où est pister une confirmation de la théorie psychologique, prise comme idéale, et rechercher dans le fait divers, aussi parce qu’il est médiatique et que cette médiatisation déborde le clinicien.
Un monde contemporain qui promet au sujet grâce aux téléphones mobiles de tout voir et d’être continuellement disponible et visible par le monde, d’un certain rapport à l’ubiquité, ne prétend-il pas un monde de transparence, sorte de fantasme de la netteté de la clarté sur tout, où tout ce qui est, serait su, vu et entendu ? D’autant plus que les téléphones mobiles enregistrent les activités de leurs propriétaires et donnent accès à un savoir qui ne serait pas visible sans mobile. Sachant aussi que toutes ces données sont utilisées pour répertorier les usages et pourquoi pas prévenir des risques psychosociaux, comme s’il y avait Un Autre qui pouvait accès à un savoir sur tous. D’autant plus avec la question des technologies médicales le tout voir y compris à l’intérieur du corps est très prégnante et cela modifie-t-il le rapport au corps ? Avec la technologie de l’imagerie, la cartographie du cerveau vient interroger celle de voir la conscience, d’une part et d’autre part le scanner d’un corps par exemple gomme toutes différences, celles des traits physiques de chacun, la différence des sexes, donc une réduction des sujets à l’empreinte radiographique des corps, le tous pareils, et d’autre part l’imagerie médicale rend visible l’invisible. Et cela met au défi la médecine de trouver des maladies cachées, cela renvoie à la question de l’hypocondrie induite par cette médecine contemporaine. Le clinicien à a négocier dans sa clinique avec ces notions qui peuvent aller en contraction avec des symptômes d’origines psychiques restant du côté de l’insaisissable, par exemple une photographie des circuits neuronaux de la pensée par les IRM peut être en totale contradiction avec des symptômes psychiques, pose la question de comment faire exister l’invisible ?
En conclusion nous pouvons dire que dans la mesure où la clinique contemporaine est prise dans le numérique et que celui-ci, force est de constater, tend à masquer l’invisible, à faire disparaître l’invisible du champ du visible, il s’agit de s’interroger sur les conséquences pour la clinique contemporaine dont l’objet est justement le hors champs, le caché ce qui n’apparait pas mais qui se déduit et qui n’est pas forcément vérifiable. Quel impact, quelles modifications et quels positions la clinique contemporaine devra-t-elle compter pour se réinventer dans un monde qui change de paradigme, où l’image prime sur l’indicible.
Margot Ferrafiat-Sebban