
La thérapie psychanalytique en couple
Comment la définir et la différencier des différents types d’aide aux couples et thérapies de couple ? Quel est le projet du thérapeute analytique en accueillant des couples souffrants ?
Pour répondre à ces questions, on peut se référer aux écrits de base de J.-G. Lemaire et d’A.Eiguer. Je vais toutefois en donner une définition simple et un peu schématique.
La thérapie psychanalytique en couple est l’analyse du couple et du lien que les partenaires ont construit entre eux. Il ne peut donc y avoir indication de thérapie psychanalytique de couple que si le lien existe sous une forme ou sous une autre, c’est-à-dire si les conjoints se considèrent comme un couple. Cette définition exclut donc d’autres types d’approche du couple. Il s’agit de l’analyse du lien dans ses différentes dimensions, objectales et narcissiques, de l’analyse des rapports que les conjoints et le couple entretiennent avec leur couple réel et avec le couple fantasmatique de chacun d’eux ainsi que des relations entre la dyade aimante et la dyade aimée. Cette analyse ouvre sur la question du sens du choix amoureux, des circonstances de ce choix, elle passe par la compréhension des symptômes amenés sous forme de plaintes et de reproches et leur intégration dans l’économie psychique du couple et des conjoints afin que ceux-ci puissent soit continuer ensemble, soit se séparer à moindre risque psychique pour chacun d’eux.
La thérapie analytique en couple est un espace offert au couple pour faire cette analyse, du moins dans ce qui est cause de souffrance, elle est un moyen qui, grâce à l’analyse des processus de couple, permet aux conjoints de dénouer certains nœuds pathogènes de leur lien.
La question est alors de comprendre comment se sont constitués ces nœuds et quelle fonction ils remplissent dans l’économie du couple et celle des conjoints.
Qu’est-ce qu’un couple ?
L’approfondissement de la clinique de la thérapie analytique en couple et celui de la compréhension du couple comme « entité psychique » sont allés de pair. L’un ne va pas sans l’autre. L’analyse du couple permet sa compréhension et sa compréhension soutient son analyse La constitution d’un couple implique une notion de projet : projet de vie, projet d’enfants ou ne serait-ce que projet d’entraide mutuelle en se pensant « couple ». « Nous étions ensemble pour tourner une page », disent certains couples qui consultent devant l’échec de ce projet. Ce projet inscrit la rencontre dans la durée, dans la temporalité, il transforme la rencontre en couple et permet la constitution du lien conjugal. Le lien conjugal, comme tout lien, est à la fois un organisateur et une défense. Il s’organise sur la base d’accords conscients (comme tourner une page), mais aussi sur la base de collusions et de pactes inconscients (tout ce qu’il ne faut pas savoir afin de permettre au lien de durer). Le lien se construit et dure au prix d’un refoulement. Les collusions sont des problématiques communes aux deux conjoints, leurs défenses opposées ou complémentaires ayant fait partie de l’attrait amoureux. Si les accords conscients veulent tourner la page à ces problématiques, les pactes inconscients les organisent et les refoulent. Ces collusions organisent certaines problématiques communes dont les conjoints pensent pouvoir se défendre l’un avec l’autre, l’un par l’autre. Leur couple devient indispensable aux conjoints comme lieu de dépôt de leurs parties les plus archaïques, le conjoint peut devenir indispensable comme lieu de projection d’une part de soi, comme lieu de traitement de ces parts de soi projetées en l’autre.
Par rapport à d’autres liens, amicaux, filiaux, d’amants, le lien conjugal comporte des spécificités : la sexualité génitale, la durée et, en principe, la vie commune.
Pour Freud, « l’objet n’est pas trouvé mais retrouvé ». Cependant, avec les premiers objets, l’exercice de la sexualité est frappé d’interdit. Le lien conjugal est le lieu où la sexualité ou plutôt la génitalité est possible et même prescrite. Cet exercice de la sexualité transforme la relation à l’objet, elle en permet la réélaboration. La possibilité de la sexualité génitale à l’adolescence en avait permis un premier remaniement, mais dans le contexte d’un choix d’objet ne comportant pas la durée. Avec le couple, la durée introduit de nouvelles caractéristiques dans le choix d’objet, qui doit satisfaire à la fois la sécurité et la satisfaction libidinale. La transformation de la rencontre en couple doit à la fois organiser la sexualité et être un lieu de réassurance identitaire pour chacun des conjoints. La durée peut permettre que la projection de l’objet interne sur le partenaire rencontre le réel de l’objet externe. La reconnaissance de l’autre comme autre, facilitée par l’érotisation de la relation, se fait dans un processus de différenciation à travers lequel s’élabore le deuil des premiers objets à jamais perdus et à jamais interdits.
Pour que cela soit possible, il est aussi nécessaire que le couple ait émergé en tant que couple, en tant que nouvelle cellule de la société, et se soit différencié des groupes dont il est issu, travail qui remet en jeu les relations à l’environnement primaire, aux groupes originaires.
Un double processus de différenciation, un double travail psychique est nécessaire au couple qui veut rester vivant en tant que couple. Il doit élaborer à sa périphérie une frontière entre lui et le monde extérieur, travail qui lui fournit une enveloppe psychique, qui crée un dedans et un dehors. Et il doit opérer une gestion de l’altérité en son sein en travaillant sur les problématiques du même et du différent, de la complétude et de l’incomplétude, de la distance et du rapprochement, de la fusion et de la distanciation. Cette gestion transforme les rapports de chaque conjoint à son histoire personnelle et renforce l’enveloppe du couple. Dans ces conditions, le couple dans la durée est le lieu privilégié de la reprise élaborative de la relation à l’environnement primaire et aux premiers objets. C’est un travail psychique auquel tout couple vivant est confronté pour le plus grand bénéfice psychique de chacun des conjoints. Les deux processus ne vont pas l’un sans l’autre et la crise du couple vient signifier leur blocage.
Consultation conjugale et entretiens préliminaires
Les couples qui consultent sont pour la plupart des couples qui soit traversent une crise, soit s’interrogent devant la répétitivité d’un certain type de crise ou d’un certain type de symptômes. Les collusions, qui pendant un temps avaient servi d’organisation défensive au couple, ne remplissent plus cette fonction et leur contenu émerge dans les symptômes du couple. Ces symptômes issus de la collusion sont aussi ce qui permet aux conjoints de rester ensemble sans se perdre l’un dans l’autre, ils constituent au lieu même du « collage » l’écart nécessaire pour continuer d’exister individuellement.
La nature du symptôme renseigne sur la nature de la collusion et le type de problématique, le plus souvent prégénitale, qui lie les conjoints. La thérapie analytique en couple est une indication pour certains d’entre eux. Mais avant que l’indication ne s’en dessine clairement se pose toute la question des premiers entretiens.
Pour qu’une indication de thérapie analytique en couple soit possible, plusieurs conditions sont en effet nécessaires.
La première est qu’au cours des entretiens préliminaires le couple se sente écouté, entendu d’une certaine manière. Travailler sur le lien, avec le lien, implique que le thérapeute se décentre de la problématique individuelle pour se centrer sur celle du lien. Il s’agit pour lui d’écouter la façon dont des problématiques communes s’expriment et se diffractent en chacun des conjoints, de saisir ces problématiques communes et leur organisation « couplale ». Il s’agit aussi de percevoir les rapports de chacun des conjoints au couple. Les problématiques individuelles sont bien entendu à entendre, non pour les traiter directement, mais pour percevoir ce qui de chacun est en l’autre et comment le lien conjugal noue les problématiques de l’un à celles de l’autre. Il en est de même pour l’histoire de chaque partenaire : elle ne prend sens dans ce lieu d’écoute du couple qu’en ce qu’elle éclaire ce qui s’est organisé dans le lien.
La seconde condition est la nécessité de sortir de la problématique du patient désigné pour intéresser les conjoints au lien qu’ils ont construit au fil du temps. Pour que cela soit possible, le couple doit percevoir qu’il est investi comme couple par le thérapeute et que ce couple a une fonction, fonction d’organisation et de défense qui pendant un temps a été à l’origine de la meilleure économie psychique pour chacun d’eux, même si cette organisation est maintenant en défaut. Cette perception a une fonction renarcissisante du couple et des conjoints. S’ils décident de se séparer ensuite, elle est également importante pour qu’ils puissent le faire sans nier la vie qu’ils ont eue ensemble et le sens de celle-ci.
Dans cette perspective, les symptômes portés par l’un des conjoints sont en fait amenés par le couple, et ils sont à entendre comme la création de leur organisation groupale. La problématique commune des conjoints s’est diffractée, chacun n’en apportant qu’un aspect. Un effondrement physique ou psychique de l’un d’eux peut venir signifier ce que chacun des conjoints avait mis dans le couple comme lieu de réassurance identitaire, et l’objet de la plainte porté par l’autre – absence de communication, liaison, boisson, violence, emprise, etc. – peut être l’émergence de ce qui a été mis dans la collusion. L’un peut être porteur d’un symptôme qui donne à voir le conflit narcissique et l’autre porteur d’un symptôme qui traduit le conflit objectal – conflits à l’origine de diverses collusions du couple et issus de problématiques communes.
Il est donc nécessaire que, dans ces entretiens préliminaires, le thérapeute fasse percevoir au couple sa compréhension ou, du moins, une première compréhension du couple et de son fonctionnement. Une intervention globale sur le fonctionnement du couple et des partenaires dans le couple renarcissise le couple et propose à chacun un étayage pour « penser le couple ».
À partir de là, une indication de thérapie analytique en couple peut être posée et un contrat thérapeutique proposé et mis en place.
Remarques
Parmi les couples venant en consultation conjugale, pour environ la moitié, une thérapie analytique peut être proposée. Les autres se répartissent en deux groupes.
Certains ne peuvent sortir de la problématique du coupable ou du patient désigné, car cette issue leur paraît trop coûteuse pour leur économie psychique. Celui qui a amené l’autre pour qu’il change ou pour qu’il soit soigné cherchait dans le thérapeute un allié pour son entreprise et il fait échouer la prise en compte globale du couple.
D’autres ne s’engagent pas dans une thérapie, mais vont utiliser les entretiens préliminaires pour mettre en œuvre une séparation qu’ils ont repoussée jusque là. Certains d’entre eux sont suffisamment névrotisés pour utiliser le tiers thérapeute un peu comme un médiateur, pour accéder ainsi au réel du conjoint et de leur couple et élaborer une séparation psychique. Mais il peut aussi s’agir d’un évitement qui va transporter ailleurs une problématique identique de choix amoureux.
Les deux cas de figures sont possibles et la question reste posée, celle de savoir si les deux composantes du couple, la composante névrotique et la composante narcissique, ont été suffisamment prises en compte. Quelqu’un peut arriver à se séparer psychiquement du conjoint sans réussir à se séparer psychiquement du couple. Il ne peut pas renoncer au couple en tant que groupe d’appartenance étayant des enveloppes psychiques individuelles souvent défaillantes et, de ce fait, porteur de la sécurité identitaire, et il ne peut pas se défaire du couple en tant qu’institution donnant une identité sociale. Derrière ces rapports entre deux êtres, ce sont les rapports du sujet au groupe et à la société qui sont en jeu. On peut vouloir se séparer d’un conjoint, mais ne pas pouvoir se séparer du « couple » et de ce qu’on a projeté sur lui, ce qui entraîne nombre de conjoints à se précipiter dans un nouveau couple sans se laisser le temps d’une élaboration psychique de leurs représentations de couple et des projections qu’ils ont faites sur leur couple.
Parmi ceux qui ne s’engagent pas dans la thérapie de couple, cependant, certains pensent primordial après un ou quelques entretiens en couple de privilégier leur problématique personnelle. Ils engagent une thérapie personnelle et renoncent pour un temps du moins à un travail en couple.
Les difficultés théoriques de la thérapie analytique en couple
Donner à percevoir ce qu’est une thérapie psychanalytique de couple, à percevoir ce qui s’y passe, essayer de dégager les processus qui la parcourt est ce que j’aimerais pouvoir faire, et en même temps ce désir se heurte à un certain nombre de difficultés.
Nous venons de voir que ce travail implique de se décentrer de l’écoute du conflit intra-psychique pour écouter ce qu’il en est du lien. Mais sur quelle théorie s’appuyer pour comprendre et définir le travail avec un couple ? Peut-on parler de l’évolution d’une thérapie analytique de couple comme on peut parler de l’évolution des groupes, alors que le couple n’est pas un groupe ? Le travail avec le couple se différencie du travail avec un groupe thérapeutique, les conjoints ayant une histoire commune, et il se différencie de l’analyse institutionnelle, car, si le couple a une histoire, comme l’institution, c’est une histoire duelle qui s’est complexifiée au fil du temps en organisant la dimension sexuelle d’une tout autre manière que toute autre relation. Cependant, la thérapie de couple est une situation de groupe, car nous sommes au moins trois. Elle a donc à se constituer une théorie propre tenant compte de l’individuel, du lien et du groupe, car elle est à l’articulation de l’intra~psychique, de l’intersubjectif et du groupal.
La thérapie analytique de couple : l’analyse du lien
Bien que cela puisse sembler étonnant, pour aborder les processus de la thérapie en couple, je passerai directement des entretiens préliminaires à la fin de thérapie. Ce qui m’amène à le faire est que les fins de thérapie sont souvent une reprise, une réappropriation de ce qui s’est vécu aussi bien dans la thérapie que dans le couple. Les retours sur le processus thérapeutique que font en fin de thérapie les couples-patients rendent le plus souvent compte de leur réélaboration de l’histoire de la rencontre et de leur histoire de couple. Ils permettent de saisir l’évolution ou la transformation de la relation et les processus de la thérapie.
À partir de la réflexion que j’ai entreprise dans l’après-coup sur de nombreuses fins de thérapie, j’ai pu formuler l’hypothèse que les bénéfices de la thérapie psychanalytique en couple étaient une maturation de chacun des conjoints, qui, au lieu d’utiliser l’autre et le couple pour traiter certaines parties d’eux-mêmes à la faveur d’une collusion qui s’est peu à peu transformée en symptômes, les ont intériorisées dans leur psychisme personnel ou les ont réorganisées différemment dans le couple. Il s’est produit pour eux un processus de différenciation qui s’est accompagné de l’élaboration de deuils anciens qui n’avaient pu s’effectuer jusque là. Le deuil que représente la fin d’une thérapie reprend l’élaboration des attentes qui ont été projetées sur le couple et qui se sont déplacées durant la thérapie sur le cadre thérapeutique. Lors d’une des dernières séances d’un couple que j’ai suivi de nombreuses années, Monsieur me dit avec l’acquiescement de sa femme : « Nous pensons que vous avez sans doute beaucoup appris avec nous, vous pouvez écrire sur nous si vous le désirez. Mais ce sera votre perception de ce qui s’est passé, nous, nous avons la nôtre. » Belle façon de rendre à chacun ce qui lui appartient et de reconnaître le processus de différenciation qui a été à l’œuvre tout au long de la thérapie. En cette fin de thérapie, le couple, en renonçant à l’étayage du cadre thérapeutique, réélabore la relation de chaque conjoint à son environnement primaire ainsi que celle du couple à son environnement groupal. Ce couple s’était constitué « contre » son environnement social, chacun se défendant d’un collage inconscient à son environnement primaire.
Dans un retour en arrière, cet homme avait déclaré ceci : « Au départ, vous ne disiez rien, vous nous écoutiez seulement, puis, à partir d’un moment, vous avez dit des Ah bon ! Vous croyez ?, qui ont commencé à nous donner à penser. » Il décrivait ainsi le processus de la première période de la thérapie : au début, le couple ou plutôt les deux conjoints et moi-même nous étions mélangés, pris dans un magma, et peu à peu avait émergé un premier processus de différenciation.
Processus de deuil et processus de différenciation sont à l’œuvre dans tout couple qui vit, et sont aussi à l’œuvre dans toute thérapie. Si l’on peut penser et constater que chaque thérapie est différente, n’auraient-elles pas un mouvement dynamique commun ?
Mouvement qu’il nous faut repérer dans ses expressions différentes.
Séparation des conjoints ou continuation du couple ?
Il semble nécessaire de distinguer les thérapies qui ouvrent sur la poursuite de la vie commune de celles qui débouchent sur une séparation du couple. La plupart de ces dernières, mais pas toutes, sont de plus courte durée que les précédentes. En outre, lorsque la thérapie se solde par une séparation, il y a lieu de distinguer entre les couples qui consultent en pleine crise et ceux qui ont conscience de leurs difficultés de séparation psychique et viennent demander une aide dans ce sens. En fait, même en pleine crise, quand les conjoints commencent à évoquer une possible séparation mais sans la mettre en acte, ce mot est à entendre comme l’ébauche de la mise en œuvre de la séparation psychique. En revanche, quand la séparation n’est pas simplement envisagée, mais mise en acte, elle signifie le plus souvent l’arrêt de la thérapie.
Arrêt ou fin de thérapie ? On peut se le demander. Il est certain que les couples qui poursuivent ou reprennent la vie commune mènent plus loin ou autrement le processus thérapeutique. Cependant, nombre de couples qui se séparent au cours du processus thérapeutique ont pu découvrir la manière dont ils ont utilisé leur couple et leur conjoint et dont ils en ont été utilisés. Dans ce cas, ils ne veulent, ils ne peuvent plus parler devant leur partenaire de ce qui les concerne personnellement. Ils ont repris la part d’eux-mêmes qu’ils avaient mise dans le couple, et nombreux parmi eux continuent leur chemin dans un travail individuel.
Le travail qu’ils ont fait dans la thérapie en couple leur a donné une compréhension de ce qui avait présidé à leur choix amoureux. Ils se sont rendu compte que leurs attentes à l’égard de leur conjoint et de leur couple avait quelque chose à voir avec leur histoire infantile. Ils ont pu resituer leurs attentes à l’égard de leur partenaire dans la problématique œdipienne et faire un lien entre leurs attentes à l’égard de leur couple et leur désir de combler des attentes insatisfaites à l’égard de leur environnement primaire. La thérapie de couple a réactivé leur histoire infantile, qui s’était elle-même réactivée dans le couple, ce qui, avec les deuils qu’implique de réélaborer son histoire infantile, a ouvert sur une démarche personnelle de chaque conjoint.
Le déroulement des processus de deuil qui accompagnent toute thérapie montre que, sous la difficulté à faire le deuil du conjoint réel et/ou du conjoint idéal, comme du couple réel et/ou du couple idéal, il s’agit bien souvent d’autres deuils non faits. Ces deuils non faits ont présidé au choix amoureux et aux circonstances de ce choix, qui est alors remis en question. La thérapie peut alors ouvrir sur un nouveau choix amoureux : soit on « réélit » ce conjoint-là, dont les caractéristiques réelles sont mieux connues, soit on en élit un autre, pour un autre type de relation, le plus souvent plus mature.
L’élaboration des collusions du couple
Les thérapies qui vont vers une séparation permettent aux conjoints de reprendre leurs projections, le pacte qui les liait comportant le plus souvent une composante mortifère. Les partenaires cherchent à s’en défaire en se séparant, ils dissolvent la collusion.
Les thérapies qui permettent la continuation de la vie commune travaillent à éclairer les collusions du couple qui ont fait crise. La compréhension de ces collusions permet aux conjoints un réinvestissement du couple et du conjoint. Ils préfèrent continuer ce couple qui organise leurs fixations archaïques plutôt que de se séparer en courant les risques psychiques que cela comporte ou de se lancer dans des analyses de très longue durée : c’est nettement plus économique psychiquement. La perception du côté défensif de leur alliance est vécue positivement, même si cet aspect est parfois douloureux. Les symptômes, même s’ils persistent, prennent un autre sens, les conjoints acceptant mieux l’écart entre leurs représentations de couple et leur couple réel.
Les phases de la thérapie
Pour évoquer ces phases, je m’appuie sur des thérapies au cours desquelles les conjoints ont réinvesti leur partenaire et leur couple. Que s’est-il passé entre les conjoints et le thérapeute, entre le couple et le thérapeute, entre le groupe des conjoints et du couple et le cadre thérapeutique ? Entre le temps de la crise, le temps de la demande et ce qui peut faire penser aux conjoints que la thérapie est terminée ?
Un peu schématiquement, car il existe des processus thérapeutiques très différents, on peut le décrire comme suit.
Il y a une première phase pendant laquelle le symptôme narcissique s’atténue ou disparaît. Ce symptôme, effondrement physique et/ou psychique, le plus souvent porté par celui qui se plaint de l’autre, s’atténue dès que le contrat thérapeutique a pu se mettre en place.
Illusion groupale ? L’après-coup révélant que la manière selon laquelle s’est effectuée la demande et a pu se mettre en place un contrat thérapeutique reprend les modalités de la rencontre du couple, on peut penser que les conjoints ont projeté sur la thérapie les mêmes attentes qu’ils avaient projetées sur le fait de « faire couple ». Ces attentes sont donc déposées, mises en suspens, mais le processus ne sera terminé que quand elles auront été remises en circulation au cours de la thérapie et dans l’élaboration de la fin.
Claude était porteur du symptôme narcissique au moment de la crise alors que sa femme présentait un symptôme sexuel. La demande elle-même se trouvait diffractée : ils s’interrogeaient sur l’opportunité d’une démarche individuelle pour Claude ou sur une démarche en couple dont Catherine était demandeuse. Ils optèrent pour cette dernière solution remettant à un autre temps et à un autre lieu la demande personnelle. Très rapidement après la mise en route de la thérapie, Claude s’est senti mieux, l’ébranlement identitaire étant dû à ce qu’il avait pensé être la faillite du « couple dans lequel il avait tout misé », ce sont ses propres mots. Soutenu par la thérapie, il put dire qu’il était passé du couple-certitude à un couple fait d’incertitudes et pour lequel « il ne savait pas de quoi demain serait fait ». Plusieurs années après, c’est Catherine qui décida de consulter pour elle, reprenant à son compte la faillite narcissique, alors que le symptôme sexuel se trouvait partagé par eux deux et prenait sens pour chacun dans son histoire.
Dans ce premier temps, protégés par le cadre thérapeutique suppléant à l’enveloppe transitoirement défaillante du couple, les conjoints viennent déposer leur lien dans le groupe thérapeutique. On peut avoir l’impression d’un magma, d’un moment d’indifférenciation dans laquelle est inclus le thérapeute. Temps qui peut être long durant lequel les deux conjoints testent la sécurité du cadre et du thérapeute, c’est le temps des recherches d’alliance, etc. Dans ce temps premier de la thérapie, ce qui fait crise dans le couple est évoqué, montré, mais ne prend pas encore sens entre le thérapeute et le couple. La recherche d’alliance n’est pas d’ordre œdipien, elle signe plutôt le désir de l’« un » et de la relation narcissique.
Dans un deuxième temps, ce qui fait crise entre les conjoints prend un sens dans le processus thérapeutique. La scène de ménage, par exemple, peut, après une période d’accalmie, se réactiver en séance. Elle est alors adressée au thérapeute, qui peut et doit repérer le moment où elle surgit dans le processus thérapeutique. Il arrive quelquefois que, après un moment d’absence du thérapeute, vacances ou autres, les conjoints puissent à la fois dire que tout va bien et organiser la scène devant et avec le thérapeute. Face à ce qu’ils vivent comme une défaillance du cadre, de l’enveloppe groupale, les conjoints renforcent leur système défensif de couple, retrouvent leurs collusions et montrent les symptômes issus de ce système. En effet, le travail du couple s’opérant sur deux terrains, entre l’extérieur et le couple qui voudrait bien pouvoir dire « ensemble nous sommes forts », et à l’intérieur du couple entre les conjoints, ces derniers sont submergés et la crise éclate. La crise, la scène conjugale sont alors à entendre comme une organisation défensive contre un environnement jugé défaillant, mais c’est une organisation douloureuse et en défaut.
L’interprétation doit se situer aux deux niveaux, celui du conflit entre le couple et son environnement, où se réactivent les failles de l’environnement primaire de chacun des conjoints, et celui du conflit entre les conjoints, où se réactivent les relations préœdipiennes et œdipiennes de chacun. Dans ce deuxième temps, l’ébauche de la triangulation est là, le couple se différencie du thérapeute, la différenciation est à l’œuvre à l’intérieur du couple. Le thérapeute est utilisé comme écart entre les conjoints, place qui jusque là avait été occupée par le symptôme. Quand cette place dans laquelle les conjoints, le couple, mettent le thérapeute sera suffisamment analysée, les conjoints pourront intérioriser la fonction tierce. Le thérapeute a pendant un temps fait partie d’un groupe indifférencié pour prendre peu à peu la fonction d’écart concret entre les conjoints, remplaçant souvent du même coup le symptôme. La fin de la thérapie ne peut être envisagée qu’à partir du moment où le thérapeute et les conjoints peuvent prendre tour à tour une des places du triangle œdipien.
Aussi le troisième temps est-il celui de l’élaboration des deuils. Le travail de deuil est à l’œuvre tout au long de la thérapie, mais le sentiment d’aller mieux, c’est-à-dire de pouvoir vivre sans l’autre, permet de le choisir, de le rechoisir et de vivre autrement avec lui.
48Ce passage de l’ordre du besoin à celui du désir, passage qui se fait dans le renoncement à être le tout de l’autre, retravaille le choix amoureux, donc les relations aux premiers objets. Il ouvre sur une réélaboration des deuils de l’enfance. Les conjoints passent de la projection de l’objet interne à la reconnaissance de l’objet externe et découvrent la richesse de l’altérité, c’est-à-dire celle de la fécondité psychique. Ils sortent du blocage psychique. Cependant, avant de partir, il leur faudra reprendre ce qu’ils ont déposé dans le cadre thérapeutique. Cette reprise leur permet de réélaborer leurs attentes à l’égard du couple comme groupe assurant l’identité narcissique.
L’un par l’autre, l’un avec l’autre, ils retravaillent leurs histoires personnelles mises en commun aux lieux des collusions.
En conclusion, on peut dire, d’une certaine manière, que les conjoints, après avoir déposé leur lien dans le groupe thérapeutique, le reconstituent avec et devant le thérapeute afin d’analyser son côté organisateur et son côté défensif. Cette analyse permet soit la pérennité du couple soit la séparation des conjoints. Le lien, en émergeant du groupe thérapeutique, réorganise les collusions du couple en les répétant : les scénarios du couple sont actualisés en séance. Ces scénarios sont nécessaires à la fois à l’organisation défensive personnelle de chaque conjoint et à la défense du couple contre le monde extérieur, qui est représenté par le thérapeute et la thérapie. Ils constituent une enveloppe du couple. Leur analyse en séance permet aux conjoints d’élaborer l’un avec l’autre, l’un par l’autre, ce qui de ces collusions qui les font souffrir provient de leurs histoires infantiles, et de travailler sur l’écart entre leurs représentations de couple et leur couple réel. Ils opèrent ainsi des distinctions, entre soi et l’autre, entre l’objet interne et l’objet externe, entre leurs idéaux et le réel de l’autre, de soi et du couple.
À ce stade de la thérapie, certains se séparent : ils ne perçoivent pas de possibilité de réorganisation du lien. Pour les autres, ceux qui réinvestissent leur couple, cette meilleure distinction entre l’intérieur et l’extérieur du couple tisse une enveloppe plus souple qui permet les échanges avec l’extérieur et soutient le travail à l’intérieur. Ils perçoivent mieux ce qui appartient à l’un et à l’autre, ce qui peut être mis en commun et ce qui ne peut l’être. Le travail psychique du couple est un long processus qui l’accompagne tout au long de sa vie, car, à toutes les étapes de celle-ci, de nouvelles identifications sont à retravailler par les conjoints l’un par l’autre, l’un avec l’autre.